Celui-là ?
ENTRETIEN. « Ce chant des supporters de Brest ? Je l’emporterai avec moi » : les confidences d’Éric Roy
L’entraîneur du Stade Brestois s’est longuement confié à Ouest-France, avant le déplacement à Toulouse, dimanche 24 août (17 h 15). Éric Roy revient sur ses années sans banc, son incroyable réussite à Brest, son management, ses craintes et une Bretagne qu’il aime. Éric Roy : « J’avais envie de stabilité, dans un métier qui m’a longtemps tourné un peu le dos. » GUILLAUME SALIGOT, OUEST-FRANCE
Ouest-France Recueilli par David GUÉZENNEC. Publié le 23/08/2025 à 16h30
L’entraîneur du Stade Brestois, Éric Roy, s’est longuement confié à Ouest-France avant le déplacement de son équipe à Toulouse, ce dimanche 24 août (17 h 15), pour la deuxième journée de Ligue 1. Sur sa prolongation de contrat, ses perspectives au club et même sur son amour de la Bretagne.
Quand vous regardez dans le rétro, vous rendez-vous compte du côté incroyable de ce que vous avez fait à Brest ?
Quand tu es dans l’action, tu as un peu de mal, mais quand tu te poses pendant les vacances, tu arrives à prendre du recul. C’est évident que c’est exceptionnel, surtout pour un club comme le nôtre, qui n’était pas du tout dimensionné pour ce genre d’événement, d’aventure. On se dit qu’on restera liés pour toujours. Je viens d’avoir un beau message de Mahdi Camara - car c’est allé vite quand il est parti (à Rennes) - et il m’a dit que l’aventure qu’il a vécue ici, avec les gars, restera gravée à jamais. C’est important de s’en rendre compte, mais après dans mon métier, il faut se dire : la suite c’est quoi ? Et ça peut être vertigineux, parce qu’on se dit : « Quels leviers va-t-on pouvoir actionner pour continuer d’être performant ? » C’est le plus difficile qui nous attend aujourd’hui.
Le challenge est donc encore plus fort pour vous cette saison…
Forcément, parce que l’année dernière, à la même époque, on était tous guidés par cette énergie, cet engouement aussi par rapport à ce qui nous attendait. Et inquiets aussi. Quand tu as peur, tu redoubles de vigilance, tu travailles mieux, tu es plus concentré . On était dans l’attente de découvrir des choses inconnues, pour 95 % du groupe, et le club dans son ensemble. Cette énergie positive, cette dynamique n’est plus là. Comment recréer ça ? C’est mon travail. « Un métier qui m’a longtemps tourné le dos »
Pourquoi avoir prolongé en mai dernier alors que vous étiez « bankable » et auriez pu signer ailleurs ?
Je suis arrivé au bon endroit, au bon moment, dans un club qui m’a fait confiance, à qui, quelque part, je dois aussi des choses. Ce n’est pas renouvelable ad vitam aeternam, je pense que j’ai aussi rendu la confiance que l’on m’a témoignée. Quand on se sent bien quelque part, tu as toujours la tentation de vivre autre chose, mais en même temps, tu sais ce que tu as, et tu ne sais pas ce que tu auras, dans quelles conditions. J’avais envie de stabilité, dans un métier qui m’a longtemps tourné le dos. J’aurais pu être dans des clubs où j’aurais eu plus de moyens, je n’en ai pas eu tellement l’envie, parce que si c’était le cas, j’aurais attendu quelques jours de plus que les places se libèrent sur les bancs de la Ligue 1. « À Brest, je suis arrivé au bon endroit, au bon moment. » | MATHIEU PATTIER, OUEST FRANCE
Vous n’aviez pas entraîné durant dix ans. Aviez-vous plus de doutes ou de certitudes sur ce que vous pourriez faire en arrivant à Brest ?
Je n’avais pas une expérience énorme, mais c’était quand même 70 matches de Ligue 1 avec Nice, dans un club qui, à l’époque, avait un des plus petits budgets de la Ligue 1, avec un bilan comptable qui n’était pas si mal que ça (23 victoires, 24 matchs nuls, 23 défaites). Ça ne veut dire que je ne perdais qu’un match sur trois. J’ai toujours eu confiance en moi. Après, des doutes, tu en as toujours, et c’est important d’en avoir, parce que celui qui pense tout savoir, notamment en football, il commence à être en danger. Soyez le premier à commenter l’article !
Avoir des convictions est important, avoir un staff, des garçons avec qui tu peux échanger, qui ont de la compétence aussi, qui peuvent te faire réfléchir sur ton management. Ce qui ne me faisait pas trop peur, c’est que la seule expérience que j’avais à Nice, c’était une expérience de ce niveau-là : de reprendre une équipe et d’essayer de la sauver dans une période où elle était en difficulté. Donc je l’avais vécu. Tu n’appliques jamais exactement les mêmes choses, parce que ce n’est pas le même contexte, mais je n’avais pas trop de doutes sur le fait que j’étais capable de pouvoir remplir ces premiers objectifs. « Une vision globale de ce qu’est le football, une entreprise, un club »
Avez-vous tiré une force de votre parcours, avec pas mal de métiers différents dans le foot ?
J’ai fait à peu près tous les métiers. Quand j’ai arrêté ma carrière, j’ai passé plusieurs diplômes, et paradoxalement, je n’avais pas passé le diplôme d’entraîneur, parce que j’avais passé le diplôme de manager général de club professionnel, j’avais passé un diplôme de gestion de stadium-manager, de gestion des enceintes sportives. Mes premiers métiers de mon après carrière, c’était directeur marketing, directeur de développement, la gestion du projet du nouveau stade à l’OGC Nice, tout ça. « J’ai fait à peu près tous les métiers. » | MATHIEU PATTIER, OUEST FRANCE
C’étaient plutôt des postes en dehors du vestiaire.
C’est ce qui m’intéressait aussi. Ça m’a donné une vision un peu globale de ce qu’est le football, une entreprise, un club de football. Ça m’a certainement donné une ouverture plus importante que certains entraîneurs qui sont toujours restés très terrain, et qui voient tout le reste comme des choses perturbantes pour leur travail. La réalité, c’est que dans un club, pour que ça marche, il faut que tout le monde soit aligné. Mais je suis très heureux de m’être recentré sur le terrain, parce que c’est quand même mon amour premier d’être au milieu des joueurs. J’avais cette envie pendant toutes ces années, de retrouver le terrain, et malheureusement, il n’y avait personne qui me donnait la chance de pouvoir le faire. « J’aime mes joueurs »
Les joueurs louent votre management, la complicité que vous instaurez…
J’ai un truc naturel : j’arrive à créer du lien avec les joueurs. En fait, j’aime les joueurs, j’aime mes joueurs. Après, ça ne veut pas dire que tu ne peux pas être critique, tu ne peux pas leur faire comprendre de temps en temps que ça, ce n’est pas bien, qu’il faut s’améliorer. Mais on est là pour les accompagner, les aider à progresser. C’est notre mission première. Quand les joueurs sentent que tu es à leur service, que tu es là pour eux, que tu t’investis auprès d’eux, ils ont tendance à vouloir te le rendre. C’est essentiel, parce que tu as besoin d’avoir les joueurs derrière toi. Il ne s’agit pas de dire oui ou amen à tout. Quelquefois, ça amène aussi à des clashes, comme dans tous les clubs, dans toute relation humaine. Ce qui est important, c’est le respect de l’homme.
Est-ce facile de faire des choix quand on « aime » ses joueurs ?
Ce n’est pas forcément ce que j’aime le plus quand je dois choisir entre deux joueurs pour pouvoir décider qui va jouer le week-end, mais bon, ça fait partie de mon métier. On manage chacun différemment parce qu’on a des personnalités qui sont complètement différentes à l’intérieur d’un groupe. Il faut pouvoir trouver les bons mots par rapport à des profils psychologiques différents. Ça, c’est sur la personnalisation du métier. « J’ai un truc naturel : j’arrive à créer du lien avec les joueurs. » | GUILLAUME SALIGOT, OUEST-FRANCE
Vous accordez aussi une grande importance à la dimension collective.
Elle est, à mon sens, beaucoup plus importante. C’est évident que si l’individu crée le collectif, c’est le collectif qui fait que tu as des résultats à un moment donné. Je dis souvent aux joueurs : « C’est important que vous ayez tous des objectifs personnels et tant mieux. Mais c’est à travers le collectif que vous arriverez à atteindre vos objectifs personnels. »
Comment faire prendre conscience de l’importance du collectif ?
Après, quels leviers tu actionnes en termes de management pour créer un groupe ? Cette notion de tribu avec ses rites, avec ses habitudes, ses coutumes, on a réussi un peu à créer ça. Moi, je m’intéresse à tout. Je lis aussi pas mal de choses sur d’autres sports, le rugby notamment. De temps en temps, ça alimente ma réflexion par rapport à des choses. Mais il est évident que la plus grosse difficulté, c’est d’arriver à se réinventer et surprendre un peu les joueurs. Ce n’est pas facile. « J’adore la Bretagne »
Avez-vous peur de ne pas y parvenir pour cette saison ?
Ma crainte – ce n’est pas une peur, parce que je connais quand même la base de ce groupe-là –, c’est qu’effectivement, on est quand même à la fin d’un cycle, Et au moment où on se parle, avec peu de renouvellements. Beaucoup de joueurs sont partis, peu sont arrivés. On ne peut pas dire aujourd’hui que toutes les conditions sont réunies pour avoir une dynamique hyper positive. [« On a réussi à créer une notion de tribu avec ses rites. »] « On a réussi à créer une notion de tribu avec ses rites. » | GUILLAUME SALIGOT, OUEST-FRANCE
Comment faire pour que tous les joueurs présents se sentent concernés ?
Il faut qu’ils soient capables, aussi à l’intérieur du groupe, de se remettre en question, d’avoir cette exigence au quotidien, de continuer à vouloir avancer, de continuer à prouver que même si on a le 16e budget, alors qu’on sort de la Ligue des champions, ce qui est quand même un peu paradoxal, et bien qu’on va être capable encore de surperformer. Parce que si on se maintient et qu’on finit 15e, on va surperformer, puisqu’on a le 16e budget.
Vous avez renouvelé votre contrat avec un budget que vous saviez contraint. Mais il est sans doute plus contraint que vous ne le pensiez, non ?
Quand je parle d’avenir, je ne pose pas de conditions, je ne demande pas de garantie. Par contre, c’est vrai que je ne pensais pas qu’on serait aussi contraints que ça par rapport à ce qu’on a vécu ces derniers mois. Ce n’est pas super confortable. Il faut s’adapter.
Quel regard portez-vous sur le Finistère aujourd’hui, sur les Brestois, la Bretagne, des gens qui vous ont adopté ?
Si je suis resté aussi, c’est parce que je me sens bien ici. C’est une région que j’adore. D’ailleurs, je redescends très, très peu. Ce qui est d’ailleurs un vrai crève-cœur, parce que mes parents sont assez âgés aujourd’hui.
Le chant des supporters sur vous perdure…
Je les remercie. Même si on est concentré, quand ils l’entonnent, je l’entends. Je ne veux pas trop me laisser distraire, mais c’est évident que ça fait plaisir au fond de soi. Au moins, c’est quelque chose que j’emporterai avec moi.
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